Bonjour !


Le jour ou nous avons décidés de formaliser et compléter la généalogie de nos enfants fût aussi, sans que nous puissions nous en douter à priori, le début d’une aventure riche en surprises, découvertes et rebondissements.

Il ne s’agit pas ici de dresser un inventaire exhaustif, mais de partager les émotions et évènements liés à quelques-unes des familles qui ont fait la nôtre: Les Manuel et les Matret !

Généalogie Manuel

Les origines de la famille Manuel

Ce document fut écrit par Jean Servel en 1976. Il fut reproduit en quelques deux cent exemplaires par les descendants de Tranquille et offert à tous les descendants de la famille Manuel lors de la première cousinade des retrouvailles en 1977.


 

Nous savions que Tranquille Manuel était né au hameau des Farelles (commune de La Fare en Champsaur, canton de Saint-Bonnet dans les Hautes Alpes). Ce hameau se trouve situé en face de Saint-Bonnet, sur la rive gauche du Drac, à la lisière des mélèzes et des sapins qui s‘accrochent aux premières pentes de la montagne. Nous savions encore que Tranquille avait pour père Arnoux (en réalité Arnoux-René, car il existe plusieurs Arnoux) et que sa mère était Anne Joubert; et enfin qu’il avait pour frères et soeurs Jacques, Arnoux, Ferdinand, Théodosie. C’est du moins dans cet ordre qu’on les énumérait, sans d’ailleurs que l’énumération soit complète.

Il était bien tentant d’en savoir davantage et, le loisir d’un Congé d’été le permettant, de risquer des recherches pour établir un arbre généalogique remontant aussi loin que possible et rejoignant à tous les degrés, tous les ascendants repérables. Il suffisait pour cela de se rendre aux Farelles, comme chacun pourra le faire. La maison paternelle des Manuel, une ferme campagnarde, existe encore, facilement reconnaissable à un cadran solaire sur la façade. En vérité, elle fut toujours habitée par les aînés de la famille, et elle l’est aujourd’hui par une descendante de Jacques, frère aîné de Tranquille : Lucie Manuel, épouse Marius Bellue.

LES ANCETRES

C’est précisément grâce à la gentillesse de Lucie Bellue et à partir d’un tiroir bourré de précieuses archives familiales, qu’une première esquisse de généalogie a pu être établie. Cet essai donnait comme le plus ancien représentant des Manuel : Jean Manuel dont on ne sait par ailleurs pas grand chose, mais qui vécut sans doute entre 1720 et 1730 (?). Peut-être une étude plus minutieuse et plus poussée permettrait-elle de remonter jusqu’ à un certain Dominique Manuel, dont le fils Jacques s’est marié en 1732, mariage dont l’acte officiel est établi sur beau parchemin très bien conservé. Ce Jacques serait-il le frère de Jean, et tous deux fils de Dominique ? C’est d’autant plus vraisemblable, malgré quelques difficultés à faire cadrer les dates, que cet acte de mariage se trouve dans les archives Bellue, ce qui indiquerait qu’il s’agit bien d’ascendants en ligne directe. C’est donc possible mais pas certain.

Quoi qu’il en soit, on ne craint pas de se tromper en faisant remonter ici l’arbre généalogique jusqu’à Jean Manuel, sur la double attestation des archives familiales et des registres d’Etat civil de La Fare.

JEAN-ANTOINE ET MAGDELEINE FAURE

Né en 1766, Jean-Antoine eut pour soeur Adélaïde (et peut-être d’autres frères et soeurs). Il épousa Magdeleine Faure. Tous deux étaient décédés en 1854. Il n’est pas sans intérêt de signaler que Jean-Antoine et sa femme Magdeleine vécurent ensemble les années difficiles de la Révolution Française. L’histoire locale nous apprend que les remous en furent considérables à Saint-Bonnet (à 3 km des Farelles, de l’autre coté du Drac) à tel point qu’en mars 1790, le nom même de Saint-Bonnet, par trop entaché de féodalité et de fanatisme, fut troqué contre celui, assez évocateur, de “Bonnet-Libre”.
En mars 1793 s’était créé un Comité de Surveillance de cinq membres qui se montra particulièrement actif sous Robespierre. Une de ses taches était de dénoncer les prêtres réfractaires, considérés comme tels pour avoir refusé de prêter serment de fidélité à la Constitution Civile du Clergé.

Pour célébrer comme à Paris le “Culte de la Raison”, on avait d’ailleurs été jusqu’à relever de ses ruines, place Grenette, un temple protestant jeté à terre naguère par décret de l’autorité royale.

Et c’est dans cet édifice même que, le 28 janvier 1794, fut célébrée avec enthousiasme la mort du tyran, Louis XVI”.

Jean-Antoine et Magdeleine ne semblent pas avoir vacillé devant ce débordement passionnel, et nous aurons la surprise, à quelques années là, de trouver au séminaire un de leurs fils, Jacques.

LES ENFANTS DE JEAN-ANTOINE ET DE MAGDELEINE FAURE

Une assignation en justice datée de 1858 et faisant état de faits antérieurs, énumère les six héritiers de Jean-Antoine et de Magdeleine dans l’ordre suivant: Adèlaide, Jacques, Nanette, Magdeleine, Jean-Antoine et Arnoux-René. Cette retransmission des mêmes prénoms d’une génération à l’autre n’est pas pour faciliter les recherches. Par ailleurs, cet ordre se contrarie parfois avec les dates de naîssance fournies par les registres d’Etat civil. Deux dates au moins peuvent être considérées comme assurées: La naissance de Magdeleine en 1794, et celle d’Arnoux-René en 1805. Voici ce qu’on peut dire sur chacun des enfants.

Adélaïde était encore mineure en 1821, ce qui suggère comme date de naissance 1801 ou 1802 (?). Elle épousera à Lacoue, Antoine Joubert. On ne sait rien sur leur descendance.

Jacques devint prêtre, nous l’avons dit, et fut curé de Saint- Firmin de 1818 à 1841, comme en font foi ses nombreuses signatures sur les registres paroissiaux. Un document, signé du Pére Abbé de la Trappe d’Aiguebelle en 1812, accorde au diacre Jacques Manuel une “affiliation spirituelle” à la famille des Trappistes. Faut-il en déduire, puisqu’on n’est diacre qu’à 23 ans au plus tôt, que Jacques aurait été l’aîné d’Adélaïde ? En tous cas, d’après la ferme tradition familiale conservée aux Farelles, les paroissiens de Saint-Fîrmin se seraient opposés à ce que leur ancien curé fût enterré ailleurs que chez eux.

Magdeleine avait 18 ans seulement lorsqu’elle épousa Jean-Pierre Allard, âgé lui-même de 19 ans, comme c’est mentionné dans les registres d’Etat civil des mariages. Ils eurent 7 enfants dont la descendance serait à rechercher.

On remarquera du moins ceci : d’abord que deux des garçons moururent la même année 1854. Est-ce des suites d’une épidémie ou d’un accident ? Ont-ils laissé des descendants ? Par ailleurs, Anne ne vécut que 21 ans : eut-elle le temps de fonder un foyer ? Quand à Mélanie, si elle s’est mariée et eut des enfants, quel aura été son nom d’épouse ? Seul François aurait pu transmettre le nom. Dans le pays, on ne connait pas d’Allard originaires des Farelles… Des recherches méthodiques pourraient peut-être infirmer cette assertion.

Parmi les enfants de Jean-Antoine et de Magdeleine Faure, il nous reste à découvrir Arnoux-René et sa descendance. Ce sera l’objet des pages qui suivent.

ARNOUX-RENE ET ANNE JOUBERT

Vers 1825, Arnoux-René épouse Anne Joubert, qui elle aussi habite les Farelles. De bon renom, la famille Joubert est relativement aisée. Les Manuel aussi, sans doute, mais peut-être pas autant. Il n’est d’ailleurs que d’entrer dans le petit cimetière abandonné de La Fare, le nouveau cimetière se trouve aujourd’hui à Bois-Vert, prés de la chapelle. Parmi de modestes pierres tombales ou de simples croix de bois, on découvre une véritable petite chapelle cimétériale que la famille Joubert-Meyer se fera ériger en 1888. On peut y voir le signe d’un niveau social que la tradition locale est loin de démentir. C’est un fait que, lorsqu’on avait besoin d’argent, on empruntait à La famille Joubert. Un petit carnet anonyme intitulé “Mon journal’ aligne une longue liste d’emprunteurs, dont le nom était rayé au fur et à mesure des remboursements. Ce qui est incontestable, c’est que la part des deux héritages qui revint à Arnoux et à Anne, même après le partage entre les nombreux ayants droit, dut être substantielle.

Par ailleurs, certains indices donnent à penser que “dame Anne” fut une maîtresse femme. Veuve à 52 ans, elle sut défendre presque avec les griffes le patrimoine de ses enfants, au cours de plusieurs procès de succession où elle intervint au titre de tutrice de Tranquille et d’Arnoux, ses deux fils encore mineurs. On ne peut douter non plus qu’elle ait eu grand souci de l’éducation de ses enfants, en particulier de leur éducation chrétienne; son fils Ferdinand deviendra prêtre et missionnaire; deux de ses filles entreront chez les soeurs de la Providence de Gap; et ceux des enfants qui se marieront ne feront pas mentir leurs origines chrétiennes.

LES ENFANTS D’ ARN0UX-RENE ET D’ANNE JOUBERT

Parmi les enfants d’Arnoux-Renè et d’Anne Joubert, trois choisissent le service du Seigneur : Ferdinand, Valérie et Justine ; et trois autres firent souche: Jacques, Tranquille et Arnoux. Quand à leur fille Victoire, elle mourut à 11 ans. Parlons d’abord des premiers nommés.

Ferdinand né en 1831 entra chez les Missionnaires Oblats de Marie et fit son noviciat à Notre-Dame de l’Osier (Isère) en 1853. Après un court séjour de deux ans à Marseille, il fut orienté par Mgr de Mazenod, le Fondateur, vers les missions du Natal, où il arriva en 1856 (soit quatre ans seulement après l’arrivée des Oblats dans ce territoire de Missions). Il n’était pas prêtre, mais frère. Nous le trouvons successivement à Pietermaritzburg où il semble avoir passé le meilleur de sa vie missionnaire, puis au Bluff, enfin à Durban. En 1884 son évêque, Mgr Allard (originaire de Gap) décidait de l’envoyer au Basutoland (le Lesotho actuel). Ses malles étaient bouclées mais, au dernier moment, la mort d’un missionnaire remit son départ en question. Il mourut à Durban le 1er novembre 1888. Durant les 32 années qu’il passa au Sud-Afrique, il ne prit aucun congé et ne revint jamais en Europe.

Sa correspondance révèle plusieurs évènements familiaux, notamment les difficultés financières de sa belle-soeur Emilie, la veuve de Jacques. Cette situation porta Frère Ferdinand, sur les instances de l’abbé Blanc, curé de La Fare, à laisser sa part de patrimoine, évaluée à 3000 francs (450 euros) à son neveu Emmanuel. Plus tard, sur l’intervention de soeur Théodosie, Frère Ferdinand avantagera les enfants d’Arnoux dont les aînés purent ainsi faire leurs études à Notre-Dame de Lumières (Vaucluse), chez les Pères Oblats.

Valèrie (née en 1834) et Justine, soeurs cadettes de Ferdinand, entrèrent toutes deux chez les religieuses de la Providence de Gap, l’une sous le nom interminable de soeur sainte-Marie-Saint-Henri, l’autre sous celui de Soeur Théodosie. Leur choix ne saurait surprendra si l’on sait que cette famille religieuse, alors en fondation dans le diocèse de Gap, faisait ses premiers pas à Saint-Bonnet même. Soeur Constance, religieuse jeune encore mais d’un esprit équilibré et d’un grand dynamisme, venait d’y ouvrir une école pour les fillettes du pays, en même temps qu’elle y dirigeait la formation de jeunes religieuses dans le premier noviciat créé sur place. Des environs, on venait à l’école, et il n’était pas rare qu’une ancienne élève entrât au noviciat.

De Soeur Sainte-Marie-Saint-Henri on ne sait rien, sinon qu’elle mourut en 1855 (à 21 ans !). On possède encore la lettre de sa supérieure annonçant le décès à Anne Joubert, sa mère.

Soeur Théodosie devint directrice d’un institut de sourds-muets dans la région parisienne, et reçut à ce titre les insignes de la Légion d’Honneur.
Les autres fils, avons-nous dit, devaient faire souche: Jacques, Tranquille et Arnoux. Le premier, aux Farelles même, le second, au Domaine (Saint—Bonnet), le troisième a Pont-de-Chéruy (Isère), les trois grandes branches actuelles de la famille Manuel.

LES DESCENDANTS DE JACQUES ET D’EMILIE PELISSIER

Jacques, l’aîné (né en 1827), épousa Emilie Pélissier (1827 – 1901) dont la pierre tombale se trouve au cimetière de Bois-Vert, encore faut-il la trouver ! Ils s’établirent à la maison paternelle des Farelles et eurent plusieurs enfants: Emmanuel en 1862, François-Arnoux en 1864 (qui mourut jeune) et une fille dont nous savons seulement qu’elle fut é1evée au couvent de la Providence de Gap au titre d’orpheline (ce dernier détail indique que Jacques lui même mourut jeune, laissant à sa femme une situation assez embrouillée où la jeune veuve eut quelque peu à souffrir de sa belle-mère Anne). On notera encore que, comme son père Arnoux-René, Jacques remplit les fonctions de maire de La Fare: ainsi les vieux registres furent-ils longtemps signés par un Manuel.

Emmanuel épousa en premières noces, Joséphine Robert, dont il n’eut pas d’enfants; puis, en secondes noces, Léa Pélissier, de la commune d’Ancelles (décédée en 1947). Ils eurent en 1919 une seule fille Lucie, qui épousa Marius Bellue (1890-1968). C’est elle qui vous accueillera aux Farelles, si vous allez frapper à la porte de la plus ancienne maison des Manuel.

Ils eurent 8 enfants. En 1976, cinq d’entre eux ont déjà fondé un foyer. Leurs enfants représentent, sur l’arbre généalogique inauguré par Jean, la 8ème génération, et si l’on faisait remonter la famille jusqu’à Jacques, puis jusqu’à Dominique (cf. plus haut), ils seraient la 1Oème génération. Il est remarquable qu’ils soient tous restés “au pays”: les Farelles, Poligny, Ancelles et Gap.

TRANQUILLE ET MARIE REYNIER

C’est en 1864 que François Auguste Tranquille (1837—1924) épousait Marie Reynier, fille de Victor Reynier (lui-même né en 1808) et de Magdeleine Périer (décédée en 1853). Les Manuel du Domaine restaient persuadés que Marie Reynier était une fille Aubert, de Molines en Champsaur, au point que l’oncle abbé Clovis Manuel, après avoir dépouillé les archives familiales, écrivait en 1962 “Tout ce que j’ai trouvé d’intéressant en même temps que d’ahurissant, c’est que ma mère, Marie Reynier, n’était pas fille d’une Aubert, mais d’une Magdeleine Périer.
Les registres d’Etat civil ne laissent à cet égard aucun doute; c’est incontestablement par sa grand-mère, non par sa mère, que Marie Reynier est issue de la famille Aubert. Les Aubert vivaient non pas au Sellon, mais au hameau de Roy (on prononce encore “roué”) situé à une bonne heure de marche de Molines, chef-lieu de l’ancienne commune qui ne compte plus aujourd’hui que deux habitants. Le sentier qui y conduisait a été remplacé par un chemin forestier qui s’y dispute avec le ruisseau une gorge entre deux montagnes. Les Aubert, certes, furent prolifiques Pierre Aubert et Maria-Rose Gentillon, par exemple, élevèrent 14 enfants. Pourtant les terres cultivables reparties entre cinq familles représentaient tout au plus pour chacune la superficie d’un modeste jardin. C’est sur les pentes raides de la montagne toute proche qu’on allait faucher quelques bottes de foin et qu’on menait paître les troupeaux. Il est difficile d’imaginer hameau plus isolé dans la montagne…

Le plus ancien Aubert connu porte le nom d’Antoine, avant son arrivée au Roy, les registres de la commune ignorent la famille Aubert. Ces mêmes registres précisent que le dit Antoine, né en 1708, était venu de la Rochette, commune sise au-dessus de Romette, pour marier à Molines une fille de l’Assistance publique dénommée Piquet, une “servante” est-il précisé. La tradition locale la connaît encore aujourd’hui sous le nom de “la polonaise”. L’acte de mariage a consigné la déclaration de la jeune épousée qui reconnaît “n’avoir pas de père”, sa mère étant domiciliée dans une localité de l’Isère dont Le nom sur le registre est difficile à interpréter.

Avec cette large descendance Aubert, les Manuel du Domaine ont toujours entretenu des relations de parenté, qui sont fondées, mais qu’il serait souhaitable de tirer au clair.

Le père et la mère de Marie Reynier, eux, étaient effectivement domiciliés aux Combes, hameau de Saint-Bonnet. Ils possédaient d’ailleurs au Domaine une maison et des champs où ils installèrent le jeune ménage. La maison même où habite aujourd’hui cousine Ernestine (veuve de Victor, fils unique d’Alexandre). Marie Reynier avait deux oncles paternels dont l’un, Michel fut témoin à son mariage. A cette occasion, les registres d’Etat civil notent à son sujet “N’a pas signé pour ne pas savoir”. Ce qui ne l’empêchait nullement de remplir à l’hospice de Gap la fonction de sous-économe. Il faisait allègrement “de tête” tous ses comptes, même quand il prêtait de l’argent. Et il en avait quelque peu, qu’il devait laisser en héritage au jeune ménage auprès de qui il se retira les dernières années de sa vie. L’autre oncle Reynier aurait été lui aussi dans les services du même hospice. Leur double legs à Tranquille et à Marie viendra aider sérieusement à arrondir le patrimoine, à acquérir peut-être la maison du “Buisson” et à assurer aux aînés une instruction qui ne put l’être par la suite aux trop nombreux cadets, du moins pas de la même manière.
On aimerait faire revivre la vie quotidienne de ce couple champsaurin qui fêta ses noces d’argent de mariage en 1913. Mariés bien jeunes, elle avait 16 ans et lui 23, ils attendirent bel et bien quatre ans la première naissance, ne se doutant pas que leur attente serait dépassée par les 22 enfants qui leur seraient donnés et dont seuls les deux derniers (des jumeaux) ne devaient pas survivre ni porter de nom.

Oui, on aimerait surprendre la manière dont était géré un budget familial qu’une sécheresse éventuelle n’entamait pas trop et dont les réserves permettaient encore quelques prêts aux voisins. Le vieux papa de notre cousin Elisée Reynaud (marié à Monique Reynier du “Buisson”), confirmait naguère que lorsque, “dans le pays”, on avait besoin d’argent, on s’adressait facilement au “père Tranquille ».
Comment passer ici sous silence une légende (une légende permet de rêver éveillé) dont on trouve trace ; et dans la famille ; et auprès des habitants de La Fare. Une légende en deux versions : le trésor trouvé et le trésor encore caché. Imaginez ! Tranquille aurait découvert un jour, dans la cheminée de la maison paternelle, une “toupine” (traduisez un pot en terre) remplie de pièces d’or ! Et bien sûr, il se la serait approprié. . L’autre version laisse notre rêve en suspens. Le trésor resterait à redécouvrir… Mais où ?

On aimerait encore et surtout se rendre compte de la manière dont était préparé à la vie tout cet escadron de filles et de garçons. A n’en pas douter, Tranquille tenait de sa mère une pédagogie selon la manière forte. Nul ne se serait permis de discuter ou de tergiverser. La petite histoire rapporte que, n‘aimant pas à table les ébats bruyants, il accompagnait volontiers son intervention décisive d’un proverbe patois: « chasca fié que biala perde una gulà » (chaque brebis qui bêle perd une bouchée…)

A tel prétendant qui venait lui demander la main d’une de ses filles, le père Tranquille répondait (sans doute avec quelque humour, mais non sans quelque rouerie) “J’ai bien des filles à marier, mais c’est le tour d’Anna…”. Finalement, il accorda la main de Marguerite à Jean-Baptiste, mon père…

Quant à Marie Reynier, était-elle encore une maman pour ses derniers, ou déjà une grand-mère ? Avec sa coiffe (sur les photos) qui fait penser à celle des apparitions de la Salette… Elle avait su organiser la gestion du ménage et la répartition des tâches, faisant jouer à plein le parrainage et confiant à deux aînés tous les soins à donner à leur “poupon”.

Entre ces deux montagnards, quelle était la part de la rudesse, quelle était celle de la tendresse ? Il me revient en mémoire qu’à la messe d’enterrement de celui que nous appelions “le grand-père Tranquille”, le curé de Saint-Bonnet cita cette parole que le vieil home avait dite, sept ans plus tôt, en revenant des funérailles de sa femme:
« Je savais bien que je l’aimais, mais je n’aurais jamais cru que je l’aimais tant !”

En vérité, nous pouvons conserver cette parole dans nos cheminées modernes, nous, ses descendants, comme un trésor sans comparaison avec la “toupine d’or” !

Sur la première génération des filles et des fils de Tranquille et de Marie Reynier, c’est toute une brochure qu’il faudrait écrire. Il est déjà bien tard pour le faire, et bien des détails sont définitivement perdus. On trouvera plus loin quelques notes, à peine plus riches qu’une glane après la moisson.

Pour l’instant, faisons connaissance avec toute une branche de la famille Manuel que nous avions perdue de vue: Arnoux et ses descendants.

ARNOUX MANUEL ET MARGUERITE MELANIE BOUDARD

On donnerait gros pour trouver réponse à certaines questions concernant Arnoux, le benjamin d’Arnoux-René et d’Anne Joubert. Comment fut-il amenè à faire des études pour devenir vétérinaire ? Comment fut-il mis en relation avec Marguerite Mélanie Boudard, de Pont-de-Chéruy (à quelque 30 km à l’est de Lyon), et comment vint-il s’établir dans cette localité d’où il s’en alla exercer sa profession jusqu’en Normandie ? Dernière question comment se fait-il qu’un fossé se soit creusé entre la famille d’Arnoux et la souche champsaurine des Manuel ?
En 1962, sur une demande de renseignements que j’adressai à la mairie de Pont-de-Chéruy, je recevais la réponse précise et laconique que voici: “Arnoux Ferdinand Paul Manuel, né à La Fare, Canton de Saint- Bonnet (Htes Alpes) le 11 mai 1848, marié a Pont-de-Chéruy le 30 octobre 1875 à Marguerite Boudard, née le 9 décembre 1852 à Charvieu (Isère). Pas de descendants à notre connaissance.”

Je note tout de suite que Charvieu n’était guère alors qu’un gros village à peine séparé de Pont-de-Chèruy. En tous cas, je n’avais pas frappé à la bonne porte.

Par un détour inattendu, cette situation de silence s’est trouvée rompue en octobre 1975, de la façon la plus inattendue. A cette date en effet, le Directeur la revue “Pôle et Tropiques”, un Père Oblat que je rencontre tous les jours, recevait d’une abonnée inconnue une demande de renseignements concernant un certain Père Léon Manuel, dont la correspondante savait seulement qu’il avait été missionnaire au Natal sur la fin du siècle dernier.

Fortuitement mis au courant de la requête, je n’eus pas de peine à identifier un fils d’Arnoux : j’en avais entendu parler par l’oncle abbé Clovis. Je répondis à la lettre. Je ne m’étais pas trompé. Et il se trouvait par chance que le souvenir de l’oncle Clovis avait été spécialement conservé parmi les descendants d’Arnoux (lui-même oncle de Clovis).

Que soit ici remerciée celle qui a ainsi rouvert le dialogue. Son nom se trouve sur l’arbre généalogique: Edith Laurent, petite-fille d’Annette, laquelle avait Arnoux pour père. C‘est grâce à elle que nous allons découvrir une page particulièrement émouvante de notre histoire familiale. Le texte sera émaillé de citations extraites de ses lettres toutes récentes. Nous lui devons en outre les deux photos d’Arnoux et de son épouse, documents qu’il valait bien la peine de reproduire même si c’est un peu une folie pour deux cents exemplaires.

Arnoux est décédé en 1885 à Honfleur (Seine Maritime) où il exerçait la profession de vétérinaire (au verso de sa photo, on lit “lieutenant vétérinaire”). Il était âgé de 47 ans. Sa femme devait lui survivre pendant 44 ans. Elle est décédée seulement en 1929 et a été inhumée au cimetière de la Guillotière, à Lyon, ou, sans doute, elle s’était retirée chez des parents. Bien que son premier nom aux registres de l’Etat civil fût Marguerite, on l’appelait Mélanie. Elle avait quatre ou cinq soeurs: l’une d’elles, Thérèse, a épousé un certain Mr. Buis, Joséphine a épousé Mr. Volle; une autre, un commandant d’aviation; une autre, un chirurgien (à Nice ou Cannes). Les unes et les autres n’eurent pas beaucoup d’enfants et, de ce fait, s’occupèrent un peu de ceux d’Arnoux et de Mélanie.

D’Arnoux et Mélanie naquirent en effet: Léon, Joseph, Louis et Annette.

LES DESCENDANTS D’ ARNOUX ET DE MELANIE

Parlons d’abord de Joseph et de Louis, sur lesquels nous savons peu de chose.

Joseph est mort en 1929. La même année que sa mère, Mélanie.

Louis eut deux fils : Léon et Robert. Le premier eut lui aussi deux enfants, une fille et un garçon. Cheminot retraité, il habite Vif, dans l’Isère. Quant à Robert, il est décédé en 1972 ou 73, sa femme vit encore.

Sur Léon, grâce aux archives (à Rome) des Missionnaires Oblats de Marie, nous possédons les renseignements que voici. Né à Pont-de-Chéruy le 28 octobre 1877, il entre au juniorat (ou juvénal) de N.-D. de Lumières (Vaucluse) avec un de ses frères (?) l’année même de la mort de son oncle Oblat: Ferdinand. Celui-ci, nous apprend-on, lui avait payé le voyage pour se rendre au juniorat. En 1893, il fait son année de noviciat dans l’Isère, à N.-D. de l’Osier. Puis il est envoyé au scolasticat (grand séminaire) international de Rome ou il reste une année seulement. En 1895, il est en effet dirigé vers le Canada où il termine ses études et reçoit la prêtrise à Ottawa. Le 4 septembre 1899, il s’embarque à Liverpool pour la mission du Natal, Sud-Afrique.

Sur son ministère, nous n’avons pas de détails. Une récente correspondance avec l’archiviste du diocèse de Durban n’a donné aucun résultat. Nous devrons nous contenter de l‘appréciation du supérieur du Père Léon Manuel au lendemain de sa mort, survenue le 13 novembre
“ Zélé pour les indigènes, tranquille, bienveillant et obligeant. Sa mort est une grande perte pour la mission.”
Un petit fait, rapporté ci-après, laissera entendre combien comptait pour lui celle dont il
nous reste à parler: sa soeur Annette.

ANNETTE LA MAL AIMEE

Annette naquit le 7 octobre 1878. Elle n’avait que 7 ans à la mort de son père, qu’elle aima beaucoup. On peut penser que sa naissance le combla, puisqu’il lui fit donner le nom de sa propre mère: Annette. Nul doute qu’elle n’ait été profondément marquée par cette mort prématurée. D’autant plus qu’elle eut à souffrir de n’être pas aimée par sa mère.

“Grand-mère Annette nous racontait, écrit Edith Laurent, qu’elle allait souvent chez son grand-père maternel Boudard, un gros minotier de Pont-de-Chéruy. Lors de ses 4 ans, un jour qu’elle avait sali son tablier, pour la punir, sa mère l’enferma ni plus ni moins dans une cave du moulin. Et ce n’est qu’à la nuit tombée que le chien du grand-père Boudard la découvrit tout effondrée de larmes. Sa mère n’eut pour la consoler ni un geste, ni un regard.

ABERRATIONS INCONPREHENSIBLES

Loin d’être accidentel, ce comportement de Mélanie dont l’ampleur apparaîtra par la suite, coïncide curieusement avec la mort d’Arnoux, son mari. “Il semble que c’est alors que se creusa un fossé entre Mélanie et la souche champsaurine des Manuel. ” Revanche d’un milieu social bourgeois contre les origines paysannes d’Arnoux ? L’hypothèse n’est pas à exclure. Elle serait plutôt confirmée par cette autre remarque d’Edith: “A la mort d’Arnoux, Mélanie ne voulut plus s ‘occuper de ses enfants.” Dure révélation !

Ceux-ci semblent avoir été pris en charge principalement par les Manuel de La Fare. C’est ainsi que deux des garçons furent orientés vers N.-D. des Lumières ou ils firent leurs études chez les Pères Oblats. Quant à l’unique fille, Annette, “très jeune, elle fut mise au pensionnat”; non pas à Lyon, le ville proche, où pourtant Mélanie avait de la famille et des relations, mais à Gap, chez les Religieuses de la Providence, grâce sans doute à l’intervention de sa tante, Soeur Théodosie dont il a été question plus haut.

“Même pendant les vacances, sa mère ne la retirait pas pour la prendre chez elle. Quelquefois, elle allait bien chez des cousins… Mais le plus souvent, elle restait seule.”

De cette époque, on sait seulement qu’Annette apprit la dentelle et surtout la peinture, qui jouera dans sa vie un rôle assez important. Elle aimait peindre. Un de ses petits-neveux, Léon, conserve avec le plus grand soin et avec beaucoup d’affection deux fort jolies peintures qu’elle lui a laissées.

DANS L’EPREUVE, UN RAYON DE SOLEIL

Finies ses études à la Providence de Gap, Annette vient enseigner dans un pensionnat religieux, à Orange. Qui l’aida à trouver ce poste ? Pour combien de temps ?

A quelques années de là, sans qu’il soit possible de préciser plus, nous la trouvons à Oran, où elle est hébergée par des cousins qui travaillent à la construction de la première route entre Oran et Alger. Un oncle, chirurgien sur la Côte d’Azur, aurait d’ailleurs facilité le départ. En vérité, elle y rejoignait Auguste Brun, un officier originaire de Volonne, près de Forcalquier, dont elle s’était éprise. Ou l’avait-elle rencontré ? Lorsqu’elle lui annonce qu’elle est enceinte, celui-ci demande sa mutation pour le Maroc. Elle devra recourir à une procédure légale pour qu’une pension lui soit assurée, pension qui lui est accordée par le tribunal.

Dès lors, elle rentre en France et s’établit à Marseille (au Prado), ou elle trouve à donner quelques leçons de peinture pour vivre. Elle accouche bientôt d’une fille (1912). Prenant alors son courage à deux mains, elle en écrit à sa mère et l’invite à venir la rejoindre, l’une s’occupant de l’enfant, l’autre, Annette, assurant le pain quotidien par ses leçons de peinture. A quoi, sa mère répond sèchement “Tu l’as faites, tu la garderas.”

Comment Annette put-elle tenir debout et faire face ? Grâce peut-être à une parole que son frère Léon, le missionnaire du Natal, lui avait dite au moins trois ans plus tôt (puisque décédé en 1909) “Si tu as une fille, appelle-la Jeanne, en souvenir d’une des trois missions que j’ai fondées celle que j’ai dédiée à Jeanne d’Arc…”

Et le bébé trouva dans sa corbeille de baptême ce beau nom tombé tout droit du ciel de l’Afrique australe : Jeanne.

Oui, le frère aîné compta beaucoup pour Annette. Brisée par la mort de son père, meurtrie par l’indifférence de sa mère, déçue sans doute par son premier amour, elle semble avoir reporté sur lui une immense affection, en même temps qu’elle vouait une grande vénération à l’homme de Dieu, Edith précisait “au saint”, ajoutant “Elle nous parlait toujours de son frère Léon, pour qui elle avait une “adoration”. C’est lui, nous disait-elle à la veille de sa mort, c’est lui qui vient me chercher . . . »

UN LONG CHEMIN RABOTEUX

Annette trouve d’abord du travail chez un vétérinaire de Marseille, Monsieur Niolis, puis au service de son fils Raymond, qui, de retour d’Argentine, confie è Annette la garde d’une campagne qu’il vient d’acheter près de Draguignan, à St. Paul la Forêt. Elle y amène sa petite Jeanne et y veillera à un élevage de poules.

Elle doit travailler pour vivre, ce qui est bien normal, mais aussi pour payer à sa mère, qui ne manque de rien, une pension que celle—ci a réclamée du jour ou elle a su que sa fille en avait obtenu une par voie judiciaire… Annette était “trop fière pour refuser, elle ne voulait surtout pas avoir de reproche de se mère…”

Les années passant, Jeanne a 8 ans et le temps est venu de pourvoir a son éducation. Annette opte pour le pensionnat Jeanne d’Arc (toujours Jeanne d’Arc…), à Draguignan; et pour cela, la met en pension chez une certaine dame Sèraillé, 14, place des Marchands.
A ses 11 ans (l’année à peu près de la mort de Tranquille Manuel au Domaine), Jeanne est atteinte d’une très mauvaise méningite. Annette quitte alors St. Paul et loue une maison de campagne dans le quartier de Faïsse, devenu Transvillage, ou la malade retrouve lentement la santé. Pour faire face aux échéances, Annette a trouvé du travail les bureaux des Contributions.

En 1929, elles regagnent Marseille : la fille sera vendeuse dans un grand magasin (“Aux Trois-Frères”); Annette sera employée chez un banquier… C’est à cette date que survient la mort de Mélanie à Lyon, ou elle s’était retirée chez des parents. Un jour elle est tombée sur le trottoir, rue de la Guillotière; un pharmacien ami l’a transportée chez elle et a prévenu sa fille.

Comme Annette pleurait auprès de la dépouille de sa mère, une de ses tantes (Boudard) lui aurait dit “Tu pleures ? Après tout ce qu’elle t’a fait, il n’y a pas de quoi !”

LE TEMPS DES ANNEES SEREINES

En février 1933, Jeanne a 21 ans, une date à marquer. Annette décide d’emmener sa fille au Maroc : elle veut qu’elle connaisse son père, devenu capitaine d’Etat-major à Rabat.

La traversée ne pouvait être plus heureuse, puisqu’elle permit à Jeanne de rencontrer celui qu’elle épouserait en 1936 : Charles Martel, lui aussi engagé dans l’armée. Ils s’établiront au Maroc, ou Annette viendra les rejoindre trois ans plus tard, pour ne plus se séparer d’eux.

Lorsque la famille s’en revient en France, au cours de l’année 1946, elle s’est enrichie de 5 enfants, en attendant d’en compter 8. En 1976, elle totalise déjà 7 jeunes foyers et quelque 20 enfants, dispersés dans la Marne et autres lieux.

“Vous ne pouvez savoir, écrit Edith en terminant sa longue lettre, ce que représentait pour moi grand-mère Annette : la tendresse, l’intelligence, l’humour, la délicatesse, une grande habileté manuelle, l’honnêteté, le travail, et surtout l’amour de tous les siens. Très douée et artiste. Jusqu’à 92 ans, elle a été parmi nous la joie de vivre. Je puis ajouter qu’elle avait une foi profonde. Elle laisse un très grand vide… »

« Quel dommage de ne pas avoir fait ces recherches de son vivant I Elle aurait été fière de tout retrouver et de me raconter certaines choses sûrement tombées dans l’oubli… »

« Ces nouveaux liens de parenté découverts par hasard nous procurent beaucoup de plaisir et nous souhaitons que notre rencontre ne soit pas trop lointaine.”

Une joie et une attente que partagent tous les descendants d’Arnoux-René Manuel et d’Anne Joubert.

Il restera à recueillir quelques souvenirs sur les descendants de Tranquille Manuel, mais cette glane demandera un peu de temps et l’aimable collaboration des uns et des autres.

Jean SERVEL – 1976

Généalogie Matret

Mystères à COURGIVAUX

Ou la légende de la jolie paysanne Clotilde et du comte Arthur
Nathalie CREDEVILLE
Commencé en 2004, complété au fur à mesure des découvertes.


Au cours de l’été 2004, je commençais mon arbre généalogique. Pour cela, j’écrivis dans la commune de naissance de chacun de mes grands-parents afin d’obtenir leur acte de naissance.

De ma grand- mère paternelle, Yvonne, je savais juste qu’elle était née le 6 août 1909 à Courgivaux dans la Marne et qu’elle avait trois sœurs : Léa, Solange et Simone. Je pensais qu’elle était la fille de monsieur et madame M.

Son acte de naissance fut le point de départ d’une « véritable enquête policière » qui allait nous révéler les secrets de ce petit village à la fin du dix neuvième et au début du vingtième siècle. J’ai fait des découvertes incroyables. L’histoire de ma famille est inimaginable, tellement extraordinaire que j’ai décidé de l’écrire au fur à mesure de mes découvertes.

Début septembre 2004, un coup de téléphone de la mairie de Courgivaux m’apprit que l’acte de naissance de ma grand-mère et de ses trois sœurs avait été retrouvé mais qu’ils comportaient une « anomalie ».

Ma grand mère et ses sœurs étaient déclarées de « père non dénommé ».Je l’ignorais. Donc pas de monsieur M, et mon arrière grand mère aurait eu quatre enfants illégitimes. Pour l’époque, c’était bizarre.

La personne m’indiqua que la formule « père non dénommé » est tout a fait inhabituelle. A cette époque, sur les actes de naissance des enfants naturels figuraient, au mieux l’identité de la mère au pire la mention « né de père inconnu » ou la mention « enfant naturel » dans la marge mais jamais la mention « de père non dénommé » Cette formule, signifiait que le maire à l’époque des naissances avait voulu attirer l’attention sur l’identité du père sans le nommer, car il s’agissait d’une ascendance pas banale.

J’appris ainsi l’identité de mon arrière grand père .Le père des filles était en réalité, un homme connu de tous, « un notable respecté et respectable » mais qui ne pouvait décemment figurer sur l’acte de naissance des filles d’une simple domestique. Son identité me fut révélée. Ce fut un choc, le premier d’une longue série.

Mon arrière –grand- père était un noble, un comte précisément, avec deux châteaux et des ancêtres prestigieux : des scientifiques, des magistrat, des écrivains, un premier prix de Rome de Sculpture, un autre encore qui participa au voyage de La Pérouse. Il s’appelait Arthur. Cet homme aimait les femmes, il avait plusieurs maîtresses, parait-il. Mais mon arrière grand mère était sa préférée, celle a qui, il a fait le plus d’enfants….

Quelques jours plus tard, j’ai reçu les quatre actes de naissance. J’appris enfin le prénom de mon arrière grand mère : Clotilde. Je connaissais maintenant l’histoire du père non dénommé, Clotilde mon arrière grand mère, travaillait comme domestique à son service. Mais ces documents nous réservaient d’autres surprises et d’autres chocs.

Nous avons constaté, en premier lieu, qu’il n’y avait pas l’acte de naissance de Léa. Nous avons donc pensé qu’elle était née ailleurs et nous avons écrit dans les communes voisines dans l’espoir de trouver son acte de naissance. Léa était l’aînée, et sans doute, la mère avait voulu cacher sa honte en accouchant hors du village. C’était souvent le cas pour les enfants naturels. Mais, c’est surtout un acte au nom d’ Andrée Gabrielle née le 18 décembre 1915 qui attira notre attention.

Ainsi Clotilde avait eu cinq filles et non quatre ! Quelle surprise !

Aucune mention marginale sur l’acte de naissance .Donc, on pouvait en déduire qu’ Andrée Gabrielle était vivante et elle avait prés de 89 ans !

Mon père a téléphoné à sa sœur, Françoise pour lui annoncer l’existence de cette tante inconnue. Elle aussi ignorait son existence.

Qu’était devenue Andrée Gabrielle ? Où vivait-elle ? C’est le premier mystère

Pour le savoir, Françoise décida de téléphoner à Jean. Cet homme, âgé de 92 ans est le cousin de ma grand mère (il est le fils d’Alfred, un frère de Clotilde).Il est né en 1912, la même année que Simone, et était très proche de Simone et Yvonne avec qui il est toujours resté en contact.

Elle nous rappela aussitôt les informations obtenues.

Jean était formel. Il vivait à l’époque à Courgivaux, il n’avait jamais vu ni entendu parler d’Andrée Gabrielle .Il ne comprenait pas ce qui avait pu se passer avec sa cousine.

Par contre, il connaissait pour les avoir côtoyées ses cousines aînées Marguerite et Charlotte, les deuxième et troisième filles de Clotilde.

Sept filles ! Arthur avait fait sept filles à sa domestique Clotilde !

On était sidérés. Cela faisait trois tantes inconnues. Et pour nous, le mystère s’épaississait .il y avait deux autres filles dont il fallait trouver la trace et aucune information sur Andrée Gabrielle.

Nous avons pensé que Clotilde avait abandonné son septième enfant à l’assistance publique C’était l’hypothèse la plus plausible. En 1915 ; c’était la première guerre mondiale et la vie était difficile dans les campagnes. Dans ce cas, nous ne retrouverions jamais Andrée Gabrielle.

Les parents de Jean lui avaient toujours raconté que le père des filles de Clotilde s’appelait Charles. C’était un métayer du château. Soit disant qu’il ne voulait pas épouser Clotilde car elle était incapable de lui faire un fils ! Si Jean, enfant, avait cru à cette histoire, en grandissant elle lui parut invraisemblable .Comme tout le monde, il entendait les rumeurs dans le village, comme tout le monde il savait la vérité.

Certains éléments de cette histoire confirment pourtant la paternité d’Arthur .Tout d’abord, cette formule « père non dénommé » .Ensuite, pendant la période de 1896 à 1915, sept enfants au moins sont nés. Le clergé, tout puissant à cette période n’aurait jamais permis qu’un homme du peuple, un métayer, ait autant d’enfants hors mariage. Il aurait du régulariser la situation Le prêtre de la paroisse et même l’évêque dans un cas pareil serait intervenu avant la naissance du second.

Or rien de tel ne s’est produit, ce qui prouve quel homme influant était le père des enfants.

Nicole, la fille de Jean, a demandé à son père quelle réputation avait sa tante Clotilde. Selon ses souvenirs d’enfants, sa tante était ce qu’on appelait « une Dame » à l’époque, donc rien a voir avec la réputation qu’aurait eu une « fille –mère » comme on disait.

Il parait même que c’est elle qui commandait dans la ferme où, pour taire les rumeurs de sa paternité, Arthur l’avait placée après la naissance de plusieurs enfants. Elle était normalement la domestique, mais c’est elle qui donnait les ordres au métayer Charles! Là encore un métayer n’aurait pas admis que la domestique le commande, sauf si la dite domestique était en fait la patronne, puisque maîtresse de Comte et surtout mère de ses enfants.

On le voit c’est assez complexe comme situation, et pour nous les descendants, difficile à comprendre et à admettre.

Je me suis alors renseigné sur le sort des enfants naturels à cette période. Il y avait une loi sur l’infanticide. Les femmes célibataires qui attendaient un enfant, devaient en principe faire une déclaration de grossesse chez un notaire. Une autre loi concernait tous les enfants naturels nés avant 1922. La naissance de l’enfant devait bien sur être déclarée à la mairie du lieu de naissance et la mère devait, en plus, faire une déclaration de reconnaissance de son enfant à la mairie. Si cela n’était pas fait, l’enfant était aux yeux de la loi, un enfant naturel, illégitime, sans aucun droit, pas même celui d’hériter de sa mère.

Fin septembre 2004, nous avons reçu une grosse enveloppe de Courgivaux. Nous n’avions pourtant rien demandé, mais le maire avait continué ses recherches. Cette histoire de « père non dénommé » l’intriguait. De plus, il était passionné de généalogie. Je commençais tout juste. Il a voulu m’aider, et il m’a donné un sérieux coup de main. Grâce à lui, j’ai très vite progressé sur la branche de Clotilde

Dans cette enveloppe, il y avait plusieurs actes, de naissances, de reconnaissance d’enfants naturels, de mariage, de décès concernant la famille. L’orthographe du nom variait parfois mais c’était la même famille

Cet envoi de documents mit fin au mystère d’Andrée Gabrielle. Elle est morte à l’age de un mois en janvier 1916….Son acte de décès était dans l’enveloppe, ainsi que celui de sa mère et de son grand –père Jules.

L’acte de mariage de Léa indiquait qu’elle était née à Courgivaux. On trouva aussi les actes de mariage des sœurs de Clotilde.

Parmi les autres papiers, figuraient les actes de naissance et de reconnaissance de Marguerite née en 1898 et de Juliette née en 1899. Cette dernière était la fille de Julie, (une sœur de Clotilde)

Que d’enfants illégitimes dans une même famille !!!

Il n’y avait rien sur Charlotte, mais puisque l’existence de Marguerite se vérifiait, celle de Charlotte ne faisait plus aucun doute. Marguerite est décédée en 1993, elle a vécu 95 ans, et nous aurions pu la connaître….

Pour en savoir un peu plus sur les enfants de Clotilde, il faudrait attendre d’autres réponses. L’acte de naissance de Marguerite indiquait deux mariages. En écrivant dans les endroits concernés, j’appris ainsi qu’elle fut lingère dans une maison bourgeoise à Paris.

C’est la qu’elle fit la connaissance de son premier mari Jules, un instituteur qu’elle épousa à 24 ans. Par ce mariage, elle légitimait aussi sa fille, la petite Marthe âgée de 6 ans. Veuve assez rapidement après son mariage, elle revint dans la région d’Epernay où quelques années plus tard, elle épousa un boucher belge Alfred.

En ce qui concerne Juliette, elle a été reconnue par son « père » lors du mariage de ses parents.

Comme d’habitude, nous avons adressé à Françoise et Nicole une copie des documents.

A Nicole, pour que son père ne cherche plus ce qu’était devenue Andrée Gabrielle

Quelques jours plus Nicole nous a téléphoné. Elle avait lu les actes à Jean, car avec l’age il est presque aveugle.

Il lui avait fait deux grandes révélations :

L’homme qui avait reconnu Juliette n’était pas son père et tout le monde le savait.

Mais qui était le père, alors ?

Eh bien, tout le monde le savait aussi. Elle avait le même père que les filles de Clotilde.

Juliette n’était pas seulement la cousine de Léa, Marguerite, Charlotte, Solange, Yvonne, Simone et Andrée Gabrielle, elle était aussi leur demi–sœur !

La seconde révélation était plus incroyable encore!

Le bruit avait très longtemps couru que Clotilde avait eu un fils. Jean se souvenait d’une conversation qu’il avait surpris enfant .bien sur, il n’avait osé poser aucune question Il était question « du fils de Clotilde repris par le père tout puissant… »

Jean n’ayant jamais vu de garçon chez sa tante et connaissant l’identité de « son oncle » pensait que l’enfant avait été retiré à Clotilde peu après la naissance et qu’il avait été élevé par son père et la femme de ce dernier.

Et pour nous, un choc de plus. Cette histoire n’en finissait pas avec toutes ces révélations, tous ces rebondissements

Jean n’avait bien sur aucune preuve, aucune certitude, juste une rumeur non vérifiable aujourd’hui……

C’est du moins ce que nous pensions. Début octobre 2004, une enveloppe nous arriva d’Escardes, commune voisine de Courgivaux. Elle contenait les actes de naissance de certains des frères et sœurs de Clotilde. Et aussi….

…Un acte de naissance du 15 avril 1902 au nom de Maurice fils de….Dame Clotilde !

La rumeur était vraie. Cependant, la naissance de Maurice n’est pas ordinaire. Quel secret y avait –il à cacher ?… On ne le saura sans doute jamais.

Il est le seul qui soit né à Escardes, commune distante de trois ou quatre kilomètres. Né le 15 Avril 1902 à sept heures du matin, il n’a été présenté à la mairie que le 16 avril à onze heures.

La naissance aurait eu lieu chez Edouard, cousin de Jules et Emerantine les parents de Clotilde. Le père d’Edouard était un des frères de Denise et Rose, les grandes mères de Clotilde. Edouard est allé déclarer la naissance en compagnie de Jules, le frère d’Emérantine, la mère de Clotilde. Edouard avait perdu sa mère à l’age de deux semaines, et c’est la mère de Jules qui l’a élevé. Quelques mois seulement séparaient Edouard et Jules. Ils se considéraient comme frères.

Nous avons une hypothèse .Maurice est né à Courgivaux, comme les filles, mais dans la journée, on l’a envoyé avec Clotilde chez Edouard …. On voit mal Clotilde mère de deux enfants, passer sa grossesse chez son cousin.

Clotilde a reconnu son fils un mois après. Mais qu’est-il devenu ? Peut – être a-t-il été adopté par Arthur, comme le pense Jean .Encore un nouveau mystère. Pour la deuxième fois, je décide d’écrire aux archives de la Marne dans l’espoir d’en apprendre un peu plus. Je n’ai pas encore la première réponse

Il nous manquait toujours Charlotte. Jean s’était juste rappelé qu’elle avait épousé un cheminot qui était mort sur les rails d’après ce qu’il savait… Charlotte avait alors trois enfants, elle accepta donc le poste de garde barrière qu’on lui proposa « au –dessus d’Esternay ».malheureusement ne se souvenait ni du nom du mari de Charlotte, ni du lieu, mais il avait une photo d’elle dont il nous fit une copie. C’était exactement le visage de ma grand mère Yvonne….

Fin octobre, j’ai alors reçu la réponse à la première lettre adressée aux archives départementales de la Marne .J’avais fait la demande deux mois plus tôt pour avoir des informations sur Marguerite et Charlotte.

J’avais une clé du mystère. Nous n’avions pas trouvée Charlotte parce qu’elle n’était pas née à Courgivaux mais aux Essarts le Vicomte, dans la famille maternelle de sa mère, le 3 janvier 1904. Elle était la quatrième enfant de Clotilde .Elle se maria encore adolescente avec Pierre, employé au chemin de fer.

Enfin on savait, du moins, on savait que des enfants étaient nés mais on ne savait pas ce qu’ils étaient devenus. En particulier Maurice. Il faut encore attendre la réponse des archives, mais s’il a été adopté, on ne pourra rien savoir.

Fin novembre2004. , j’ai reçu une simple lettre des archives sans documents. Compte tenu de l’engouement pour la généalogie, les archives de la Marne ne peuvent plus faire face à la demande. On me donne quand même les indications pour Maurice, mais désormais, pour toute autre demande, il faudra se déplacer.

Nous savons quand même ce qu’est devenu le petit Maurice Jean avait entendu « Le fils de Clotilde repris par le Père Tout Puissant ». Cela signifiait qu’il était mort.

Maurice s’est éteint le 15 juillet 1903 à l’age de quinze mois. Il a toujours vécu chez Edouard.

De quatre filles dont nous connaissions l’existence, nous sommes arrivés à huit enfants

Nous ne serions même pas surpris aujourd’hui d’en découvrir deux ou trois autres. D’autant plus que mon père et sa sœur se souvenaient d’une « tante Jeannine », à qui ils rendaient visite quand ils étaient petits. Elle était très gentille, mais ils avaient perdu le contact avec elle .Mon père pense que Jeannine est une autre sœur de sa mère. Sa sœur aussi.

Nous n’avons aucun acte au nom de Jeannine. Mais j’espère qu’on finira par la retrouver elle aussi. Nous commençons à nous habituer aux rebondissements dans cette famille !

Bien sur Léa, Marguerite, Charlotte et Solange ont eu des enfants. Simone s’est mariée avec Georges, mais ils n’ont pas eu d’enfants.

Ma grand mère a eu six enfants et là c’est facile d’établir la descendance. Pour les autres enfants c’est plus délicat…

Nous sommes à la fin de l’année 2004 ; nous ne savons rien ou presque sur la descendance des sœurs de ma grand-mère. Nous savons juste que Léa a eu un fils prénommé Gilbert .Solange aussi à un garçon Raymond. Mon père les a connu, mais ils se sont perdus de vue. Gilbert et Raymond étaient plus âgés que lui. Il y a aussi les trois enfants de Charlotte dont Jean nous avait appris l’existence et que nous ne connaissons pas. Il y en d’autres, très certainement, mais n’ y a que peu de chance de les retrouver un jour. C’est déjà si compliqué d’avoir retrouver la trace de tous les enfants de Clotilde, alors les descendants D’autant plus que les noms de familles de certains sont plutôt assez répandus

Pourtant, l’histoire continue …..

Début janvier 2005, Myriam une petite fille de Léa, en rangeant les papiers de sa grande mère, retrouva des lettres que ma mère avait écrit à sa grand-mère ainsi que le faire part de naissance de mon frère Christophe. Il y avait notre ancienne adresse, donc difficile de nous retrouver. Par chance dans cette malle, il y avait aussi quelques lettres de ma grand mère, avec l’adresse au dos .Elle vérifia, quelqu’un portait toujours le même nom à cette adresse. Myriam prit son téléphone. Elle est tombée sur mon oncle Guy. Mon oncle n’est pas du tout intéressé par la généalogie. Il se moque gentiment de sa sœur quand il va la voir et la trouve occupée à ranger les documents familiaux .Il a quand même donné à Myriam les coordonnées de Françoise. Elles sont longuement parlées et ma tante lui a donné mon numéro de téléphone. Ce dimanche soir de Janvier 2005, Myriam nous a téléphoné longuement.

Elle est grand-mère, et a entrepris de faire son arbre généalogique pour ses petits enfants.

C’est donc avec joie, que je lui fis parvenir le fruit de mes recherches. Elle-même me communiqua la descendance de Léa. Et les coordonnées de Jeannine. En fait, Jeannine n’est pas une tante mais une cousine de mon père. C’est une fille de Charlotte, la garde barrière. Elle avait bien un frère Pierre et une sœur Pierrette. Jean ne s’était pas trompé.

Elle a 80 ans. Myriam lui a téléphoné. Mon père et sa sœur Françoise ont fait de même. Jeannine était ravie de retrouver des membres de sa famille, mais surprise.

Myriam est veuve depuis déjà plusieurs années. Elle vit aujourd’hui avec Pierre, passionné de Généalogie et féru en informatique. Il a déjà mis les informations de Myriam sous forme de tableau et va faire de même avec les miennes.

Myriam m’a fait parvenir des photos et les tableaux de Pierre. Dessus figure la descendance de Marguerite qui n’a qu’une fille Marthe, décédée en 1997. Myriam est toujours en relation avec Françoise la fille de Marthe. Elle nous a donné ses coordonnées.

Myriam avait entendu sa grand mère Léa parler de son père qui était « une personnalité importante ». La rumeur se vérifie….

Nous avons donc retrouvé presque toute la descendance de Clotilde.

Le 2 Avril 2005, certains descendants de Clotilde se sont rencontrés pour la première fois.

La réunion presque improvisée deux jours plus tôt a lieu chez Jeannine, la fille de Charlotte.

Elle est âgée, nous voulons qu’elle voit sa famille. On ne veut pas faire une grande fête, juste faire connaissance

Il y a Jean-Paul son fils aîné, sa femme et Joséphine leur petite fille

On a donc réuni Myriam, petite fille de Léa et son mari

Françoise, petite fille de Charlotte et son mari.

Deux des enfants d’Yvonne, sa fille Françoise, mon père Michel, Stéphanie et moi.

Notre prochaine réunion, mieux préparée celle là aura lieu l’an prochain et nous espérons bien être tous présents et peut être plus nombreux.

Il ne manque que la lignée de Solange.

Mon père et sa sœur savent qu’elle était mariée et a un fils Raymond. Enfants, ils voyaient assez régulièrement la tante Solange. Mais ils ne l’appréciaient guère. Elle criait tout le temps, elle était assez bourrue et reprochait sans arrêt à ma grand mère d’avoir autant d’enfants.

Elle n’avait qu’un fils : Raymond, et c’était bien assez .Lui aussi était d’un caractère bourru. Il s’entendait bien avec Bernard, le frère aîné de mon père. Il est resté en contact assez longtemps avec ma grande mère et avec la tante Simone. Il aimait bien ses tantes, plus affectueuses que sa mère.

Jeannine pense que si Raymond vit encore, il doit être un peu plus jeune qu’elle. Il y a bien dix ans qu’il ne lui a plus donné signe de vie. Elle a encore l’adresse. Nous avons vérifié, il semblait toujours vivre à cette adresse. J’ai trouvé le numéro de téléphone, Françoise a téléphoné. Raymond a répondu. Elle lui a parlé de nos recherches.

Il croyait Jeannine morte, car la dernière carte de vœux envoyée dix ans plus tôt lui était revenue « NPAI »….

Je continue de consulter régulièrement le site internet. On ne sait jamais, quelqu’un a peut être les mêmes ancêtres, mais il est remonté plus haut que moi.

Je ne pense plus trouver d’autres descendants, sauf ceux d’éventuels enfants que nous n’aurions pas encore trouvé.

En septembre 2005, je tombe sur le site de Médéric. Il a plusieurs points communs avec nous. Lui a mis son arbre en ligne. Nous échangeons pas mal d’informations.

Le 23 octobre 2005, je reçois un email de Benoît. La famille s’agrandit !

Sa grand mère s’appelle Marguerite. Il est le fils de Bernard, le second enfant de Marguerite.

Personne ne savait qu’un fils était né de son union avec Alfred.

Ce jour là, j’ai échangé plusieurs e-mails avec Benoît. Je le sentais abasourdi. Je me doutais qu’il découvrait plusieurs membres de sa famille. Je pensais qu’il connaissait au moins Léa et Marthe. Mais non. Il pensait que sa grand mère était fille unique et qu’elle n’avait eu qu’un enfant, son père.

Quel choc ! Apprendre tout cela d’un coup. Benoît nous a téléphoné. Il va voir son père bientôt et il lui apprendra la nouvelle. Lui aussi va avoir un choc.

Après lui avoir parlé, j’ai téléphoné à Myriam. J’étais étonnée qu’elle n’ait pas parlé de Bernard. Elle aussi ignorait son existence. Je m’étonnais que Marthe n’ait jamais parlé de son petit frère. Bien sur il y a 19 ans de différence, mais quand même.

Myriam, m’expliqua alors que Marthe avait vécu avec Léa après le décès de son père. Elle ne savait peut être pas que sa mère avait eu un autre enfant. Ce qui troubla Myriam, c’est le prénom Bernard. Le premier fils de Marthe, décédé en bas age s’appelait aussi Bernard ….

La généalogie permet aussi de découvrir des destins pas ordinaires, comme celui de Clotilde.

Je n’ai bien sur jamais connu mon arrière grand mère, et pourtant, avec ce que j’ai découvert j’ai de l’affection pour elle.

La généalogie sert à renouer des liens entre membres d’une même famille. Il ne faut pas chercher à savoir ce qui a séparé les gens, les descendants se retrouvent, c’est le principal et on peut commencer de nouvelles relations.

Avant Janvier 2005, je ne connaissais pas Myriam. Depuis nous communiquons régulièrement.

Qui donc était Clotilde ? C’est aussi un mystère.

Etait-elle une fille simple d’esprit, une fille facile dont Arthur abusait ou une femme éprise d’un homme dont elle n’avait pourtant rien à espérer ? C’est un mystère de plus.

Tout ce que nous savons d’elle, nous le savons par les actes d’état civil la concernant : sa naissance, son décès, les naissances de ses enfants et par ce que Jean a pu dire à sa fille et qu’elle nous a transmis.

Elle était l’aînée d’une famille de six enfants , née le 7/11/1874 aux Essarts le Vicomte, à la Pimbaubiére un hameau de sept fermes, tout prés de Courgivaux, sa sœur Julie y vit aussi le jour .en 1876. Puis sa famille s’est installée à Escardes, .Ernestine, Alexandre et Alfred naissent à Escardes en 1878 ; 1880 et 1883.La famille part ensuite pour Courgivaux où Gustave le sixième et dernier enfant naît 1885.

Jules (1850- 1915), son père était journalier agricole et cantonnier Il avait épousé sa cousine Emérantine (1856-1943), mais après la naissance de Clotilde et Julie…Il a reconnu ses filles lors du mariage.

C’était parait-il commun à l’époque Les hommes partaient de longues années au service militaire., des périodes de cinq à sept ans Lors de rares permissions, il retrouvait leur promise et attendait d’être libéré du service pour régulariser…

Clotilde a du aller un peu à l’école, obligatoire depuis 1882 pour tous les enfants de 6 à 13 ans ; mais sur certains des actes de naissances de ses filles, elle prétend ne pas savoir signer. Elle a pourtant signé l’acte de reconnaissance de Marguerite, et elle avait une très jolie écriture !!!

Jean, son neveu, se souvient d’elle comme une très belle femme. Tout le monde, parait –il admirait sa grande beauté, surtout quand elle était jeune fille. Arthur ne devait pas être le dernier.

C’est, en effet, toute jeune fille que Clotilde fut placée comme domestique dans la famille d’Arthur. C’était comme on disait à l’époque, une bonne place « logée, nourrie, blanchie ». Mais il y avait un prix à payer : subir les ardeurs d’Arthur. Clotilde n’avait pas le choix. Elle satisfaisait les désirs de son maître et gardait sa place, ou elle refusait et perdait sa place.

Et se qui devait arriver, arriva….

Le 11 Septembre 1896, Léa, première fille de Clotilde et de « père non dénommé » naquit. Clotilde n’avait pas encore 22 ans. Elle garda sa place dans la famille d’Arthur, ce qui prouve bien la paternité de ce dernier. A l’époque une « fille-mére » aurait été renvoyée. Et en ce temps là, un mari adultère ne risquait rien, juste une amende s’il entretenait sa maîtresse au

Domicile conjugal, (si sa femme se plaignait et que le flagrant délit était constaté). A l’inverse, le mari qui surprenait sa femme en flagrant délit pouvait tuer les coupables. Il avait l’excuse de provocation.

Clotilde vivait dans les dépendances. Arthur ne risquait même pas une amende….. Clotilde continua de satisfaire les plaisirs de cet homme. Le 2 Février 1898, Marguerite naissait….

Puis il y eut un fils …

Après la naissance de Maurice, Le destin de Clotilde bascula .Par taire les rumeurs , Clotilde fut placée dans une ferme voisine, et sans doute pour lui interdire tout contact avec Maurice Le comte voulait l’adopter quand il aurait sept ans .

C’est ce que m’a indiqué une vieille dame de Courgivaux décédée depuis. Du reste comme jamais personne n’a vu Maurice , comme jamais personne n’a su qu’il était mort , à Courgivaux ,les anciens sont convaincus que le fils de Clotilde a été adopté …

Arthur, bien qu’il ait éloignée un peu Clotilde, continua de la fréquenter et lui fit encore cinq enfants ; Charlotte, Solange, Yvonne, Simone et Andrée Gabrielle.…

Julie, la sœur de Clotilde, de deux ans sa cadette fut aussi domestique dans cette maison. Elle avait aussi 22 ans, quant Juliette de père non dénommé vint au monde.

Mais Julie a eu plus de chance que Clotilde. Elle trouva à se marier En 1901 ; avec Henri qui accepta Juliette et la reconnut comme la sienne .Il parait qu’Arthur aida les jeunes mariés et qu’il contribua à l’éducation de Juliette comme à celle des filles de Clotilde…

Ernestine, elle, échappa aux griffes d’Arthur, Elle refusa d’être placée comme domestique à son service; mais à vingt ans, à peine, elle du épouser un maçon prénommé Ernest. Au moins, elle n’aurait pas d’enfant de l’amour, comme ses soeurs

Clotilde était –elle une bonne mère ? Pour ses frères Alfred Alexandre et Gustave qu’elle éleva en partie, il semblerait que ce fut le cas. .Jean dit que son père, Alfred, et ses frères appelaient Clotilde « Petite Maman ». Selon Alfred, elle était douce et gentille. Mais pour ses filles, c’est peu probable. Elle n’avait pas souhaité ses enfants, du moins pas autant. Elle devait même faire une différence Elle a reconnu ses premières filles, on peut donc penser qu’elle les a un peu désiré .Mais les dernières, elle n’a même pas pris la peine d’aller à la maire établir l’acte de reconnaissance… Elle connaissait pourtant les conséquences de cette négligence. On peut donc penser qu’elle ne voulait plus d’enfants, et s’interroger sur les relations qu’elle avait avec ses plus jeunes filles Yvonne et Simone… .

Clotilde n’a sûrement pas eu une vie heureuse, même si elle vivait dans une belle demeure. D’abord des enfants non désirées, surtout les derniers. Ensuite, cette terrible année 1915 où Alexandre son petit frère chéri, son préféré, fut tué à la guerre, le 23 juillet .La terrible nouvelle arriva le 31 Juillet, Jules le père fit une crise cardiaque.

Double enterrement.

Un peu de bonheur, peut être, en fin d’année, avec la naissance de sa petite dernière Andrée Gabrielle. Bonheur de courte durée car l’enfant ne vécut qu’un mois.

Enfin, Arthur plaçait ses filles comme employée de maison en région parisienne, dés qu’elle en avait l’age.

Toutes les filles de Clotilde et aussi Juliette. Toutes, à l’exception de Charlotte, qui se maria avant même d’avoir dix huit ans, sans doute pour échapper à l’exil…

Il ne fallait pas qu’elles parlent de leur père ! Exilées en région parisienne, dans des endroits différents et à l’époque, sans moyen de transport ; cela limitait les risques.

Les sœurs n’avaient pas beaucoup de moyens pour communiquer ensemble, à part le courrier. Elles se sont un peu perdues de vue….

C’est ainsi que ma grand mère s’est retrouvé en Seine et Marne, à Châtres, au début des années trente. Elle épousa, Paul, grainetier du village en 1932. Elle décéda en 1976 sans jamais avoir revu son village natal. Jamais, elle ne parlait à ses enfants de son enfance, de ses sœurs ou de sa mère

Elle a parfois évoqué son père : « un homme qui portait un chapeau et une moustache .Il se promenait à cheval Il était grand et avait le regard fier et nous portait parfois des cadeaux. » Mais rien de plus, pas de nom .C’était un sujet tabou. Il y avait un si lourd secret …..

Clotilde décéda en 1931. C’est là que se produisit la vraie rupture entre les sœurs. Seules, les filles que Clotilde avait reconnu ont pu hérité de leur mère. Arthur lui avait laissé, parait-il, un capital, une dot pour ses filles. Mais les dernières nées se sont trouvées exclues du partage.

Les sœurs se sont sûrement fâchées entre elles. C’est sans doute pour cette raison que nous n’avions jamais entendu parler de Marguerite et Charlotte. Ma grand mère a maintenu des relations avec Léa et Simone, un peu avec Solange mais pas avec Marguerite et Charlotte…

En 1933, Charles le seul fils légitime d’Arthur est décédé prématurément. Arthur a alors vendu le château de NOGENTEL et s’est retiré dans le château principal, à JEURRE, en région parisienne, qui appartient toujours aux descendants légitimes.

Arthur s’est éteint en 1947 à un age très avancé, et on peut espérer qu’il avait quand même un peu de sentiments pour Clotilde. Emérantine, la mère de Clotilde est décédée en 1943.

Nicole se souvient des visites au cimetière de Courgivaux en compagnie de son arrière –grand-mère quand elle était petite fille.

Un premier arrêt, prés de la porte d’entrée : « Tu vois, petite, ici, c’est ton arrière grand père Jules. Un bien brave homme. C’était mon mari »Elles récitaient une prière, retiraient les fleurs fanées, en mettaient des nouvelles…

Elles continuaient ensuite l’allée jusqu’à la tombe d’Alexandre et recommençaient le même rituel : « Ici ; c’est mon fils Alexandre. Il est mort pour la France pendant l’autre guerre. Quand on nous a annoncé la nouvelle, Jules est mort aussitôt… »

Pour finir, elles redescendaient l’allée et s’arrêtaient à mi hauteur.

« Et là, ma petite Nicole, c’est ma fille aînée. Comme elle était belle ma Clotilde ! C’était la plus belle fille du coin et au moins jusqu’ EPERNAY. Et tu sais pourquoi, elle était si belle ? Eh bien moi, j’ai eu un ancêtre qui portait perruque. Un vrai seigneur. Alors Clotilde, elle a hérité de son noble visage….. »

Nous sommes pourtant remonté jusqu ‘en 1616, sans trouver de noble. Ou alors, c’était une ascendance illégitime et. L’histoire s’est répétée avec Clotilde.

Mais Emérantine qui était si fière de sa noble ascendance, l’était –elle autant de la descendance de Clotilde ? Là le mystère demeure entier…

Clotilde et Arthur ne pouvaient pas s’imaginer que leur histoire deviendrait un jour une légende familiale pour leur descendance. « Il était une fois, Arthur un comte très riche qui aimait Clotilde une jeune et jolie petite paysanne.

Tout les séparaient. Arthur était riche, noble et très instruit, il avait deux châteaux.

Clotilde était la fille d’un cantonnier. Elle était presque illettrée et n’avait pour toute richesse que sa très grande beauté.

Dés qu’il la vit, Arthur tomba amoureux.

Hélas cet amour était impossible ! Un homme de son rang avec une domestique ! Quelle mésalliance !!

Pourtant, ils s’aimèrent. Bien sur, ils ne se marièrent pas, ils ne vécurent pas heureux ensemble mais ils eurent beaucoup d’enfants.

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